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«Balance ton prof» déferle sur les établissements du Sud

Tout est parti d’une remarque faite à une élève qui ne portait pas de soutien-gorge au Collège de Gambach. En réaction, des soutiens-gorge ont été accrochés aux clôtures de l’établissement pour dénoncer l’attitude du professeur. CHLOÉ LAMBERT
Christian Pythoud

Christian Pythoud

6 février 2021 à 06:00

Les dénonciations de propos et gestes déplacés en milieu scolaire remuent les réseaux sociaux depuis mardi. L’instruction publique et les directions d’écoles y sont sensibles. «Lorsque c’est signalé, il y a une réaction», assure François Genoud, directeur du Collège du Sud.

CLAIRE PASQUIER

ENSEIGNEMENT. Ce sont des remarques sexistes. Un «t’as tes règles ou quoi?» lancé à une fille de 14 ans, gênée devant le reste de la classe. Des gestes inappropriés. Comme ce prof de natation accusé de remettre les étiquettes de maillot de bain dans la culotte des filles. Enfin, des propos qui choquent. A l’instar de cet enseignant condamnant l’avortement ou l’homosexualité. Ces témoignages émanent d’élèves actuels ou anciens de tout le canton. Des souvenirs du primaire au collège, en passant par le secondaire, l’Eikon ou Grangeneuve.

Depuis quatre jours, le collectif de la grève féministe et des femmes de Fribourg en reçoit des dizaines. «Nous en avons collecté passé 250 dont 50 en quelques heures mardi. C’est fou!» partage Sandy Maillard, membre du collectif et de son antenne Sud fribourgeoise.

Le ressenti prime

Tout est parti d’un article paru lundi dans La Liberté. Une étudiante du Collège de Gambach, à Fribourg, expliquait avoir été réprimandée par un enseignant parce qu’elle ne portait pas de soutien-gorge.

Très vite, des soutiensgorge ont été accrochés aux clôtures de l’établissement pour dénoncer l’attitude du professeur. En postant une publication intitulée «nous vous croyons» sous le hashtag #balancetonprof, le collectif féministe a été envahi de commentaires. «Nous partons du principe que si une personne s’est sentie agressée, alors il y a eu agression. C’est d’abord le ressenti qui compte», rappelle la Vuadensoise Sandy Maillard, assistante en littérature fran- çaise à l’Université de Neuchâtel. Pour le collectif, il s’agit de libérer la parole, de faire prendre conscience du phénomène et de protéger les élèves. «La honte doit changer de camp!»

Actions de sensibilisation

Sensible à ces témoignages, François Genoud, directeur au Collège du Sud, condamne tous gestes et paroles déplacés. «Ce qui m’attriste, c’est que beaucoup de ces commentaires se terminent par “bien entendu, la direction n’a rien fait”. Ici, lorsqu’un tel problème est signalé, nous rencontrons séparément l’enseignant et l’élève et essayons de faire prendre conscience de la problématique. Par la suite, nous reprenons contact avec les élèves pour voir si ça fonctionne.» Et le directeur d’assurer que l’école veille à développer des actions de sensibilisation sur le vivre-ensemble.

Au Cycle d’orientation de Bulle aussi, des mesures sont mises en place. «Nous venons de recevoir et avons mis à disposition des enseignants le livre L’école de l’égalité, qui interroge les stéréotypes de genre et nous sommes en train de mettre au point un cours sur l’orientation sexuelle et de genre que nous espérons proposer l’an prochain», présente le directeur Laurent Comte. Lui n’est «qu’à moitié surpris» par ces révélations faites par le biais des réseaux sociaux. «C’est un problème de société qui concerne tous les milieux. Cependant, ça évolue, mais ça prend du temps.»

A Châtel-Saint-Denis, le directeur Pierre Deschenaux comprend que les réseaux sociaux permettent de libérer la parole, mais il est partagé sur la méthode: «Je crains que ça laisse la possibilité pour certains élèves déçus par un enseignant de régler leurs comptes. Je suis convaincu que s’exprimer dans un cadre où l’on a les outils pour les aider est un plus.» Et de citer les travailleurs sociaux, médiateurs, psychologues scolaires et la direction de l’école.

Tenue adaptée aux études

Si les directions interrogées sont unanimes sur le fait que ces accusations sont graves et doivent être transmises à l’école, elles ne partagent pas le point de vue du collectif féministe, qui, dans un courrier adressé à la Direction de l’instruction publique, de la culture et du sport (DICS) revendique la possibilité de s’habiller librement.

Au Collège du Sud, le règlement de l’école stipule qu’une tenue adaptée aux études est exigée. «Cette tenue peut varier et nous faisons confiance à chacun, mais nous sensibilisons les élèves sur le fait qu’ils seront amenés à travailler dans des cadres professionnels avec un dress code précis», indique François Genoud. Et son confrère Laurent Comte d’abonder dans le même sens: «Les codes vestimentaires sont tacites. On sait ce que l’on doit porter à un mariage ou à un enterrement. C’est la même chose à l’école.» Après la problématique du «T-shirt de la honte» dans le canton de Genève, le règlement d’établissement est toutefois en train d’être remis au goût du jour à Châtel-Saint-Denis.

Le collectif féministe réfute ces arguments. «C’est à nos regards et à nos comportements de changer. Il faut faire tomber les injonctions qui pèsent sur les femmes. Au nom de quoi impose-t-on un code vestimentaire? s’interroge Sandy Maillard. Porter des tongs et un bermuda à son oral de bac empêche-t-il à un élève d’être brillant?» Et de rappeler que le débat d’aujourd’hui, parfois perçu comme «du foin», fait avancer les choses. «A l’instar du combat mené il y a cinquante ans pour le droit de vote des femmes.» ■


Fini le silence

Commentaire

#METOO. Ça parle de lynchage et de chasse aux sorcières. Dans le milieu de l’enseignement, d’aucuns sont outrés par la démarche, scandalisés qu’on dénonce anonymement, sans contexte. Pourtant #metoo a été créé de la même manière. C’est bien grâce à ce mouvement que les récentes dénonciations d’incestes ou les accusations dans le milieu du journalisme ont pu éclore. Après des années de silence, la libération de la parole, enfin. Et à voir l’ampleur de la vague déversée sur les réseaux sociaux, elle était nécessaire. L’école devrait être un lieu sûr pour tout le monde. Contrairement aux soutiens-gorge, ce mouvement ne fait pas dans la dentelle, certes. Mais seule une réaction en chaîne permettait de faire bouger les lignes. Cela afin de retrouver un équilibre sain. Pour que les élèves se sentent en sécurité et que les profs ne craignent pas non plus de poser une main sur une épaule en signe d’encouragement.

CLAIRE PASQUIER


«Intéressés à dresser un état des lieux»

Secrétaire générale adjointe de la Direction de l’instruction publique, de la culture et du sport (DICS), Marianne Meyer Genilloud revient sur l’importance de dénoncer des agissements inadéquats pour que les établissements puissent réagir.

Quelle est la position de la DICS face à cette vague de dénonciations sur Instagram?

Les témoignages lus sur Instagram rapportent des mots inadéquats et des comportements déplacés et inacceptables qui n’ont pas lieu d’être dans les écoles. Toutefois, si un élève rencontre un problème de ce genre, il doit le partager, sinon nous ne pouvons pas agir. Nous invitons les élèves qui souhaitent dénoncer des comportements déplacés à le faire auprès des personnes-ressources de l’école ou directement auprès de la direction.

Ces nombreux témoignages sont-ils le signe d’un problème systémique?

L’école est un lieu de discussion où le respect des uns et des autres et le dialogue priment. Chaque école dispose d’un règlement interne, d’une charte ou d’un document particulier qui évoque les valeurs de l’école. Il faut distinguer l’école en tant qu’institution dont un des buts est, selon la loi scolaire, d’amener les élèves à développer au mieux leurs potentialités et les personnes qui la font vivre.

Si nous pouvons compter sur un personnel enseignant compétent et professionnel, il peut bien sûr arriver que certains d’entre eux dysfonctionnent ou se comportent d’une manière inappropriée ou inacceptable. Les auteurs de harcèlement sexuel sont susceptibles de procédures administratives pouvant aller jusqu’à leur renvoi pour de justes motifs. Dans la mesure où ces témoignages ont surpris les directions d’école parce qu’elles n’ont pas été confrontées à des plaintes d’élèves à ce sujet ces derniers mois, voire ces dernières années, nous sommes intéressés à dresser un état des lieux et à objectiver l’ampleur du phénomène, sans doute par le biais d’un questionnaire électronique à remplir par les élèves.

Comment sensibiliser les enseignants à ces différentes problématiques?

La qualité de la relation élèvesenseignants est centrale dans l’acte pédagogique et régulièrement thématisée dans les écoles. Dans ce cadre, les enseignants sont sensibilisés aux dérives qui peuvent survenir. Les écoles organisent régulièrement des ateliers de prévention sur la santé sexuelle qui intègrent ces questions de sexisme ou de harcèlement. Ces ateliers concernent les élèves en premier lieu, mais des enseignants sont également impliqués.

L’instruction publique a-t-elle failli à son rôle?

Non. Les écoles sont des lieux ouverts qui proposent des services de soutien aux élèves qui auraient besoin de se confier: des médiateurs et des médiatrices, des psychologues, des travailleurs sociaux. Si un élève rencontre un problème, il doit le partager, sinon nous ne pouvons pas agir. CP

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