Sur des airs familiers

Sept ans après Sebolavy, Mickey 3D vient de sortir Nous étions des humains. Où l’on retrouve le regard acéré, volontiers grinçant et mélancolique, que Mickaël Furnon pose sur le monde.

ÉRIC BULLIARD

Il y a comme un air familier. Sur la pochette, ces sourires toutes dents dehors rappellent celui de Tu vas pas mourir de rire, sorti il y a vingt ans déjà. Cette voix un rien nonchalante, ces mots affûtés pour dénoncer nos travers, cette chanson-rock accrocheuse, parsemée de bidouillages électro… Pas de doute: Mickey 3D est de retour. «Et ça c’est rien de le dire…»

Après des débuts tonitruants et le tube Respire, le groupe de Saint-Etienne s’était fait plus discret. Le chanteur Mickaël Furnon a continué seul ou avec d’autres musiciens et a sorti trois albums ces quatorze dernières années: Nous étions des humains vient sept ans après Sebolavy, qui venait lui-même sept ans après La grande évasion.

La pochette et le titre – avec cet imparfait presque effrayant – ne mentent pas: Mickaël Furnon se tourne volontiers vers le passé, le sien et le nôtre. Parfois par nostalgie, comme dans l’émouvante Lettre à Louison qui clôt le disque, avec son évocation de souvenirs de vacances au camping et «de la demi-finale de Séville sur la télé de ton père».

Le plus souvent toutefois, le disque préfère rappeler que ce n’était pas mieux avant. Voire que Rien ne vaut demain, lâche Mickaël Furnon sur un air qui rappelle Ne partons pas fâchés de Raphaël (oui, c’est un compliment).

La musique, elle, était en revanche mieux avant, assure-t-il dans Je me souviens: «On dansait comme des fous/En écoutant du rock’n’roll/Aujourd’hui, c’est du R’n’B pourri/Qui fait pleurer nos parasols.» Mais, à l’époque, il y avait aussi «John Wayne qui tuait des Indiens/Et tout le monde applaudissait…» Sur des sons vintage, le morceau a l’évidence d’un tube potentiel, comme le premier single Emilie dansait ou l’entêtant Un œil sur toi.

De nouveaux fléaux

Reste que se tourner vers le passé revient surtout à se demander: comment en sommes-nous arrivés là? Ce disque aux couleurs mélancoliques se trouve ainsi parsemé d’illusions perdues, à l’image de Je croyais et ce sombre constat: «Je croyais messieurs dames/Qu’avec un peu de poésie/on pourrait vivre en harmonie/dans ce joli petit pays.» De même dans la chansontitre, une des meilleures de l’album, qui propose toutefois une note d’espoir: «Notre histoire est si belle/Et le monde est si beau/ Essayons de faire voler nos vélos.»

A l’évidence, derrière ses mélodies enlevées, Mickey 3D n’a rien perdu de son regard critique. C’est «l’injustice selon saint Mickey/Debout contre le monde entier», résume l’ironique N’achetez pas mon disque. Cette ironie, en plus acide encore, se retrouve dans Les réseaux social: la dénonciation des fléaux d’aujourd’hui ne pouvait pas passer à côté de cette nouvelle pollution de l’époque. Près de vingt-cinq ans après

La France a peur, Mickey 3D continue d’observer le monde et il ne va pas mieux. ■

Mickey 3D,
Nous étions des humains,
Moumkine Music/Warner Music France

Mickey 3D en trois disques

Mistigri Torture (2000)
LA RÉVÉLATION. La chanson-rock vivait un âge d’or, dans la foulée du fondateur Boire de Miossec (1995) et des grands frères de Noir Désir. La francophonie découvrait Louise Attaque, Luke, Matmatah, Eiffel, Dionysos, Astonvilla… Et Mickey 3D, qui surgit au tournant du siècle avec ce refrain imparable: «La France a peur/Tous les soirs à 20 heures/La police vous parle/Tous les soirs à 20 heures.» Né dans la région de Saint-Etienne, le duo Mickaël Furnon – Aurélien Joanin commence par écumer les salles du coin et enregistrer des cassettes démo (oui, on parle d’une autre époque).

Il est ensuite repéré par Louise Attaque, qui l’engage pour ses premières parties, et par le label Virgin, qui transforme ce Mistigri torture bricolé à la maison en un vrai album. D’emblée, Mickey 3D se distingue de ses confrères, avec ses guitares aussi hargneuses que les textes et son humour désabusé.

Tu vas pas mourir de rire (2003)
LE SOMMET. Après La trève (2001), Mickey 3D enchaîne avec ce troisième album en trois ans. Désormais trio avec l’arrivée de Najah El Mahmoud, le groupe vient de faire parler de lui avec J’ai demandé à la lune, énorme tube d’Indochine, écrit par

Mickaël Furnon. Dans la foulée, Respire va le propulser au sommet. Le morceau a vingt ans et se révèle tristement prémonitoire, avec sa vision désenchantée d’un monde ravagé par l’humain: «C’est pas demain la veille qu’on fera marche arrière/On a même commencé à polluer le désert…» L’album devient disque de platine et Mickey 3D rafle trois Victoires de la musique. La tournée est immortalisée par l’excellent Live à Saint-Etienne (2004) qui reflète l’énergie dégagée sur scène. Et qui contient un inédit, Johnny Rep, peut-être la meilleure chanson française écrite sur le foot.

Sebolavy (2016)
LE RETOUR. Matador (2005) a confirmé le succès, tout en marquant l’évolution de Mickey 3D, qui ne souhaite pas s’enfermer dans le registre sombre et engagé. C’était aussi le dernier album de la formation originale. Après la séparation, Mickaël Furnon se lance en solo sous le nom de Mick est tout seul, puis revient avec Mickey [3D] (La grande évasion, 2009), Mickey 3.0 (#cpagrave, 2014) avant d’assumer le nom original. Avec de nouveaux musiciens (et toujours sa compagne Najah El Mahmoud), Mickey 3D signe son retour en 2016. Ce Sebolavy renoue aussi avec le côté bricolo-bidouilleur, mais sans rien perdre de son efficacité, de son sens de la mélodie et du refrain qui claque. Le regard sur le monde reste critique (Liberté, égalité ,fragilité, Après le Grand Canyon…) et mélancolique (Sylvie, Jacques et les autres). Et l’écriture acérée, directe, continue de faire mouche, avec ses références culturelles, littéraires, historiques, qui n’empêchent jamais la limpidité du propos. EB