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Gruyère

Dans les épiceries en vrac, les bocaux peinent à se remplir

A Bulle, la gérante de Gruyère en vrac se dit peu inquiète par les débuts timides de son large espace ouvert en septembre dernier au Velâdzo. Elle mise sur une gamme étendue de produits écoresponsables. ANTOINE VULLIOUD
Elodie Fessler

Elodie Fessler

17 janvier 2023 à 06:00

Il y a quelques années, les épiceries proposant des aliments secs en vrac déferlaient en Suisse romande et récoltaient un joli succès.

Mais désormais, plusieurs gérants dans le sud du canton déplorent une baisse de la clientèle. Certains estiment que la cause écologique a été éclipsée par la pandémie.

Autre problème global évoqué: la clientèle économise sur la nourriture en raison de l’inflation.

ÉLODIE FESSLER

COMMERCES. Débarquées il y a six ans en Suisse romande, les épiceries en vrac conquéraient des clients bien décidés à changer leurs habitudes de consommation. Dans les cantons de Vaud et Genève, ces commerces traversent une crise depuis la pandémie. Qu’en est-il dans le Sud fribourgeois?

Ouvert à Romont en 2017, Au Bocal du coin propose un vaste choix en vrac et une multitude de produits écoresponsables sur 160 m2. «Avant la pandémie, ça cartonnait. Après, ça a repris gentiment, mais pas aussi bien qu’avant. J’estime que nos ventes ont baissé de 20%», explique sa cogérante Mélanie Gavillet. Si elle se dit préoccupée, elle souligne que la problématique est globale. «J’en ai parlé avec un maraîcher bio qui a vu ses ventes diminuer de 30%. Les gens consomment différemment depuis l’après-Covid, la guerre en Ukraine et l’augmentation des coûts de l’énergie. Ils font des économies sur la nourriture. Par contre, ils continuent à partir en vacances.» Attristée par les fermetures de magasins vaudois, Mélanie Gavillet relève toutefois que certains proposaient un choix très restreint. «Seule une petite partie de la population peut s’acheter des pâtes à 15 francs le kilo. Bien sûr que vendre uniquement du bio-local serait idéal, mais on ne peut pas proposer ça à tout le monde. Il faut élargir l’offre, ce que nous avons fait depuis le début.»

«Toucher tout le monde»

Dans le chef-lieu veveysan, Bryan Stillavata a repris Naturellement vrac à l’automne 2021. Il dresse le même constat: «Ça pourrait aller mieux, comme pour tout le monde j’ai l’impression. C’est plus compliqué depuis cet été, et c’est sûrement en lien avec l’inflation. Peut-être que certains clients ont peur de venir dans des épiceries et se disent que les supermarchés sont beaucoup moins chers.» Est-ce le cas? «Cela dépend. Certaines choses ne sont pas comparables. A qualité égale, je dirais que c’est même moins cher en vrac.» Economiste de formation, Clément Castella a repris en 2017 l’épicerie du village d’Enney. Si son magasin possède un coin «dépanne», des produits locaux et/ou bio sont aussi disponibles, dont certains en vrac. «Heureusement que nous ne proposons pas que du vrac, nous aurions été foutus sinon», confie-t-il. Selon lui, la clientèle a boudé ce système durant la pandémie, notamment car il n’était pas considéré comme Covid-friendly, avec un libre accès aux pelles et aux bacs.

Les magasins qui restent ou qui arrivent à s’en sortir ont su se diversifier, explique-t-il. «Il ne faut pas oublier que dans les épiceries, les marges sont maigres. On est à flux tendu en permanence.» Le Gruérien constate aussi que la cause écologique a été éclipsée. «Les gens sont pris psychologiquement par toutes ces crises: Covid, guerre en Ukraine et inflation.»

Quant au fait que certains supermarchés se mettent eux aussi au vrac, il se veut optimiste: «Il faut y rester attentif, mais épiceries et supermarchés ne sont pas comparables. A nous d’amener notre plusvalue: la transparence des informations, les produits naturels et locaux, sans oublier la création de liens sociaux.»

A Bulle, Gruyère en vrac a posé ses valises dans un local de 320 m2 au Velâdzo, à la nouvelle gare. Outre des aliments secs en silo, on y trouve notamment des viandes du coin sous vide, des produits laitiers, des produits cosmétiques écoresponsables, tout comme des vêtements pour enfants. «Le but est de toucher tout le monde. Le défi consiste à ce qu’une famille puisse trouver tout ce dont elle a besoin au même endroit», explique sa gérante Christelle Déglise.

«Ça va, gentiment»

Les clients sont-ils au rendez-vous? «Ça va, gentiment. Les débuts n’ont pas été faciles.» Il faut dire que, à ce 1er étage du bâtiment, plus de la moitié des locaux, dont le prix de location au m2 atteint 30 francs, ne sont pas encore occupés. «J’ai bon espoir que ça changera en février mars, quand d’autres commerçant seront là. Je ne suis pas forcément inquiète, mon magasin ne ressemble pas à ceux qui proposent uniquement du vrac.»

Dans les rayons, une cliente remplit ses bocaux de céréales, aidée d’un petit chariot. «On peut trouver toutes les excuses possibles, moi j’ai la volonté de diminuer mes déchets. En termes de coût par rapport aux grandes surfaces, c’est difficile à dire, tout dépend du produit. Ici, je prends vraiment les quantités dont j’ai besoin.»

Virginie Pasquier fait partie des gérants d’épiceries en vrac qui ont dû mettre la clé sous la porte. C’est au printemps passé qu’elle a fermé Au P’tit Tout, situé près de l’ancienne gare de Bulle. Pourtant, à l’ouverture en 2016, le succès était au rendez-vous. Les soucis ont commencé dès le semi-confinement.

«Le chiffre d’affaires était très bas, c’était anxiogène. Avec mon associée on n’arrivait pas à sortir la tête de l’eau.» Quand les autres commerces ont commencé à rouvrir, Virginie Pasquier a constaté une perte d’au moins 30% de sa clientèle. «Le confinement a remis l’individu au centre: les gens se préservent et les causes deviennent moins importantes. Ce n’est pas un jugement, mais l’explication la plus logique à laquelle je pense.»

Virginie Pasquier et son associée ont accompagné Christelle Déglise pour l’ouverture de son magasin. «Je suis contente que le vrac continue à Bulle. Le P’tit Tout était une belle aventure porteuse d’énergie entre les clients, les producteurs et nous. Je ne peux pas croire que le vrac n’a été qu’une petite bulle de succès. J’espère que c’est juste un passage à vide, comme le bio en a connu.» ■


Un rééquilibrage des magasins

Si la Fédération romande des consommateurs (FRC) ne dispose pas d’enquête sur la situation des magasins en vrac, elle est cependant au courant des nombreuses fermetures en Suisse romande. Une tendance générale qui concerne aussi nos voisins français, relève Laurianne Altwegg, responsable environnement, agriculture et énergie auprès de la FRC. Sans pouvoir s’appuyer sur des données scientifiquement exploitables, Laurianne Altwegg donne plusieurs pistes d’explication.

«Pendant la pandémie, et plus particulièrement le confinement, certaines personnes avaient adopté d’autres habitudes de consommation: elles avaient plus de temps pour acheter leurs aliments en vrac ou en vente directe auprès des producteurs. A la reprise, notamment avec l’abandon du télétravail, le temps est souvent venu à manquer, rendant plus compliqué de garder ces habitudes. S’ajoutent maintenant la concurrence croissante des grandes surfaces et le phénomène de l’inflation.»

Pour Laurianne Altwegg, les magasins spécifiquement dédiés au vrac étaient peut-être trop nombreux par rapport à la demande. «Je ne pense pas que ce soit la mort du vrac. Peut-être a-t-on atteint le niveau de saturation de l’offre et se trouve-t-on plutôt face à un rééquilibrage?»
Selon elle, tout est question d’équilibre: un emplacement stratégique, par exemple à proximité des transports publics, un assortiment répondant aux besoins des clients et un business plan solide. «Mais impossible de généraliser.» EF

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