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Gruyère

Francomanias de Bulle: entre virtuosité et froideur, le paradoxe Sofiane Pamart

Le pianiste français Sofiane Pamart a lancé les Francomanias mercredi soir dans la cour du château. Il a offert au public un voyage virtuose au fil d'une quinzaine de courtes pièces, sans jamais intéragir avec les spectateurs ni mettre en danger une seule seconde son répertoire très hiératique.

Les attentes étaient grandes, mercredi soir, dans la cour du château de Bulle. A guichets fermés, les Francomanias recevaient le prodige français Sofiane Pamart, 32 ans, présenté comme la nouvelle égérie bling-bling de la musique. 21 heures, la nuit tombe. Son effigie robotique cache le lierre en fond de scène, tandis qu'une voix d'aéroport annonce l'embarquement immédiat.

Le voyage musical durera près de 90 minutes. Seul avec son Carl Bechstein, il apparaît dans la pénombre, avec son pardessus aux motifs japonisants, son bob blanc, ses lunettes noires. Voûté derrière son piano, il tourne en partie le dos au public, en majorité très jeune et très attentif. Aucun doute, l'homme est davantage connu dans les cercles hip-hop et branchés, que dans le monde guindé de la musique de chambre aux relents de naphtaline.

Prostré dans son petit monde, Sofiane Pamart virevolte à travers son bref répertoire, une suite des courtes pièces néoromantiques, des haïkus aux mélodies accrocheuses qui doivent autant à Chopin qu'à Yann Tiersen. Dans la foule, un jeune homme tombe en pâmoison. D'autres voyagent les yeux fermés, en pleine méditation. «Le son est un régal», apprécient une voisine que l'on ne contredira pas, tant la réverbération naturelle des vieilles pierres du château souligne chacun de ses arpèges de la main droite.

La voix suave de charter annonce les destinations: Sahara, pôle Nord, La Havane, les pyramides. Pourquoi diable Sofiane Pamart ne prend-il tout simplement pas le micro, déjà pour dire bonjour et merci, ce qui serait la moindre des politesses, puis pour tisser un moindre lien avec le public. N'est pas Pomme ni Georgio qui veut pour irradier la cour du château…

Le pianiste se contente de sourire, un peu, de mettre la main sur son cœur, de montrer du doigt tel spectateur. Il remonte dans son aéronef, joue à la note près ses compositions, comme sur le streaming. Beaucoup planent. Certains baillent, jamais heurtés par la moindre dissonance, par la moindre aspérité musicale.

On se dit que Sofiane Pamart a tellement de notes dans la tête, que son oreille absolue est un don du ciel, que ses longues années de conservatoire lui ont fourmi les outils pour viser plus large, plus haut, plus osé. Certains pianistes doivent avoir les bras qui tombent face au succès de cette rap-star et à la maigreur de son ambition musicale. Entendons-nous, cela ne se veut pas un reproche, tant le moment passé à Bulle fut plaisant, jusque dans ses hypnotiques répétitions. Disons plutôt un désir inassouvi, d'entendre le robot se muer en humain, de l'accompagner sur un chemin plus tortueux que l'autoroute à succès sur laquelle ses recettes calibrées nous ont portés.

Mercredi soir, Sofiane Pamart a eu le don de magnétiser les Francomanias. Il a sans doute aussi convaincu quelques-uns à se replonger dans les répertoires de Glenn Gould, Nils Frahm ou Keith Jarrett. Et pas seulement pour mesurer le chemin qu'il reste à parcourir à ce jeune prodige.

 

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