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Gruyère

La prison à vie est requise

Le procureur Marc Bugnon a qualifié le prévenu «d’homme méthodique» qui est passé à l’acte de sang-froid. ILLUSTRATIONS BERNARD DEVAUD
Valentin Castella

Valentin Castella

9 février 2023 à 06:00

Le Ministère public a requis la prison à vie pour l’agriculteur de Sorens, accusé de double assassinat.

Lors d’une dernière journée de procès tendue, le procureur a décrit un prévenu d’une «cruauté invraisemblable». La défense a, elle, recommandé neuf ans de prison ferme.

Mardi lors de son audition, le prévenu s’est contredit à plusieurs reprises, avant de finalement reconnaître qu’il n’avait pas agi par légitime défense.

VALENTIN CASTELLA

SORENS. Après l’audition du prévenu mardi (lire ci-dessous), la journée d’hier était consacrée aux plaidoiries et au réquisitoire du Ministère public.

Dans une ambiance lourde, le procureur Marc Bugnon a requis la prison à vie pour le Sorensois de bientôt 34 ans, accusé de double assassinat. «L’histoire judiciaire de notre canton a connu son lot de crimes effroyables. Mais des actes d’une telle barbarie sont rares», at-il souligné. Et d’ajouter: «Cela ressemble à l’acte d’un fou. Et, pourtant, ce n’est pas le cas.» L’expertise psychiatrique n’a décelé aucun trouble psychique et n’a dès lors pas préconisé de traitement.

Un mobile «absurde»

Marc Bugnon a qualifié les actes du prévenu de «crimes effroyables» au mobile «absurde». «Lorsqu’il a reçu la somme de la transaction, soit 34 000 francs, il l’a dilapidée en offrant un cheval à sa copine, en se faisant plaisir et en achetant un fusil. Ce sont donc les victimes qui ont financé l’arme qui les tuera plus tard.» Celle-ci a été acquise le 2 mars, trois semaines avant le drame. La totalité de la somme n’avait pas encore été versée. Preuve, selon le procureur, que le prévenu avait déjà imaginé son «traquenard». Ce dernier a prétendu avoir acheté un fusil, parce qu’il se sentait menacé. «Du vent!» a lancé le procureur. «Il n’est pas crédible, il ment. Très tôt, il a choisi de liquider ces individus.»

 

Me Alexandre Dafflon, avocat de la défense, n’est pas de cet avis: «Il n’a pas choisi d’en arriver là, il voulait se défendre au cas où la situation se compliquerait.»

«Un homme méthodique»

Procureur et avocat de la défense ont brossé un portrait du prévenu totalement différent. Pour le premier, le tueur est «un homme méthodique», qui est passé à l’acte de sang-froid.

«Il a minutieusement préparé son guet-apens. La veille du drame, il n’a jamais laissé transparaître le moindre stress. Cette froideur révèle l’absence de scrupules. Il a fait preuve d’une cruauté invraisemblable. J’espère que le fils était inconscient lorsqu’il a été balancé dans la fosse à purin, attaché au cadavre de son père…»

«Où est le père du prévenu?»

Mais pour Me Dafflon, le prévenu, qui a dit avoir eu des pensées suicidaires, serait un homme «au grand cœur, d’une gentillesse incroyable». Un homme livré à lui-même, plongé au milieu d’une exploitation familiale croulant sous une dette de 1,5 million de francs. Un homme dont la mère est malade et le père décrit comme absent et négligent.

«Il n’a jamais été considéré. Il a travaillé comme une bête toute sa vie sans recevoir de salaire. Il a été poussé à bout par son père. Et, d’ailleurs, où est ce dernier durant ce procès? Je ne l’ai pas vu. C’est lui qui devrait se retrouver sur le banc des accusés! Lui qui envoie des factures impayées à son fils, alors qu’il se retrouve en prison.»

Me Dafflon a recommandé une peine de prison de neuf ans ferme pour son client.

Des excuses tardives

A l’écoute de la plaidoirie de la défense, le fils et frère des victimes est sorti de ses gonds. Après avoir apostrophé Me Dafflon, il s’est levé et a rejoint sa petite sœur, qui avait quitté la salle en pleurs.

L’avocate des parties civiles, Me Coralie Devaud, a, elle aussi, plaidé la prison à vie. Pour elle, «le prévenu n’a laissé aucune chance à ses victimes. Il a froidement effectué un projet macabre. Deux vies humaines ont été sacrifiées pour 34 000 francs.»

Me Devaud a réclamé 100 000 francs à titre de torts moraux pour chacun des membres de la famille, et un total de 100 0000 francs pour les deux enfants du fils décédé.

Alors que les proches des victimes avaient déjà quitté la salle, le prévenu a conclu ces trois jours de procès par ces mots: «Tout ce que j’ai fait est impardonnable. Je m’excuse auprès de la famille.» ■


Le film de l’enquête

Le lendemain de la tuerie, la famille des victimes s’inquiétant de l’absence de deux des siens, a appelé le jeune agriculteur gruérien. Droit dans ses bottes, ce dernier lui a répondu que ni le père ni le fils ne s’étaient rendus au rendez-vous. Lui aussi se demandait où ils étaient passés. Pas convaincue par ces explications, la famille des victimes a alors alerté la police vaudoise qui a, à son tour, contacté l’agriculteur. Celui-ci a maintenu sa version. Ce qui n’a pas empêché une patrouille de la police fribourgeoise d’intervenir plus tard le même jour, mise sur la piste par le fait que les téléphones des victimes, dont la géolocalisation était activée, s’étaient éteints dans les environs de Sorens.

Sur place, face aux agents, le prévenu a continué de nier: il n’avait pas croisé les deux disparus. «Il n’était pas impressionné, a décrit hier le procureur Marc Bugnon, lors de son réquisitoire. D’ailleurs, tous ceux qui l’ont côtoyé ce jour-là n’ont pas remarqué chez lui le moindre signe d’inquiétude.»

Craignant un possible accident de la route, les policiers ont sillonné les environs. Une patrouille s’est rendue sur les hauts de Marsens et a aperçu le véhicule des victimes aux abords du chalet des Gros-Prarys. Rapidement, la police a découvert qu’un autre chalet d’alpage, non loin des Gros-Prarys, était exploité par la famille du prévenu. Le désormais tristement célèbre chalet de l’Obecca, théâtre du carnage. Le soir même, à 21 h 15, le prévenu était interpellé à son domicile.

«Il ne faut pas croire qu’il est passé à table de manière spontanée, a repris Marc Bugnon. S’il a fini par avouer (n.d.l.r.: dans la voiture de police l’emmenant à Fribourg), c’est qu’il était coincé. Toutes les pièces du puzzle étaient déjà assemblées avant ses mots. Les corps auraient simplement été découverts plus tard. Il ne s’agissait que d’une question d’heures.» VAC


«Ils ne m’avaient fait aucun mal»

«Je me suis complètement acharné sur eux.» Après être resté stoïque lundi lors de la première journée de son procès, le prévenu a été auditionné mardi par le Tribunal pénal de la Gruyère. Pas de grandes explications, mais des murmures, entre deux sanglots.

La tête basse, toujours, et chuchotant ses réponses, l’agriculteur sorensois de 33 ans s’est décomposé au fur et à mesure que les heures ont défilé. Acculé qu’il était après les nombreux mensonges énoncés aussi bien lors de l’instruction que devant la présidente du Tribunal, Frédérique Bütikofer Repond.

Un exemple parmi d’autres, ses différentes versions au sujet de l’achat d’un fusil de chasse plusieurs semaines avant la rencontre fatidique. «Je l’ai acheté pour l’anniversaire de mon père», a-t-il d’abord assuré. Avant de reconnaître l’avoir acquis pour «se protéger».

«J’étais coincé»

«Se protéger de quoi?» lui a demandé le Ministère public. Le prévenu a assuré que les victimes l’avaient menacé s’ils n’obtenaient pas les véhicules agricoles qu’ils avaient déjà payés. Mais ces menaces ne semblent pas avoir été si virulentes que cela… «Peut-être n’ont-ils pas été menaçants. Mais, dans la situation dans laquelle je me trouvais, j’étais coincé», s’est justifié le prévenu.

Et pour cause, il avait déjà dépensé une grande partie de la somme reçue, soit 34 000 francs, et il ne possédait même pas les tracteurs vendus. Il a dit se trouver dans une situation financière catastrophique. Endetté, il n’aurait «jamais appris à gérer l’argent».

«J’ai perdu mes moyens»

Là encore, contrairement à ce qu’il avait préalablement affirmé, le prévenu a admis mardi n’avoir jamais eu l’intention de remettre les tracteurs ni, d’ailleurs, de rendre l’argent. «Désespéré et au bout du rouleau», selon ses termes, il a alors minutieusement préparé son guet-apens dans le chalet qu’exploitait sa famille sur les hauts de Marsens.

Quant à sa version des faits le soir du drame, elle aussi a varié. Mais, il a finalement dû reconnaître ne pas avoir agi par «légitime défense». «Ils ne m’avaient fait aucun mal, j’ai perdu mes moyens.» Concernant l’immersion des corps dans la fosse à purin, le trentenaire a assuré que son but était uniquement de «les cacher». Et non pas de s’assurer de la mort de ses deux victimes en les noyant. «Ils n’étaient pas complètement immergés. J’ai ajouté de la paille pour qu’on ne les voie plus.»

«Ils ne méritaient pas ça»

Pourquoi en être arrivé à cet extrême, s’est interrogée la présidente du Tribunal. «C’est la question que je me pose tous les jours. Comment en suis-je arrivé là? Ces gens ne méritaient pas ça.»

Tout au long de son audition, le jeune Sorensois n’aura cessé de dire qu’il avait fait «les mauvais choix». Et de conclure, après un énième sanglot: «Ce qui est dur, ce n’est pas la prison en ellemême, mais de vivre avec le mal que j’ai fait.» VAC

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