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Les paysans d’ici sont aussi touchés par le manque de bras

Cet été, quelques ouvriers agricoles, venus principalement de Roumanie, pourraient manquer à l’appel sur les alpages fribourgeois. PHOTO PRÉTEXTE ARCH - V. LEVRAT

PAR JEAN GODEL

COVID-19. L’agriculture suisse emploie quelque 35 000 ouvriers étrangers, principalement de l’Europe de l’Est, dont environ 15 000 à l’année. Alors, à l’annonce du semi-confinement et des restrictions de circulation aux frontières, on a craint le manque de bras. Et d’abord dans les grandes exploitations maraîchères du Plateau où ces ouvriers sont indispensables – et en nombre – aux récoltes.

Aujourd’hui, les agriculteurs du sud du canton, actifs dans la production laitière, commencent aussi à rencontrer des problèmes. Car ils sont nombreux à employer un ou deux ouvriers étrangers à l’année, souvent des Polonais ou, plus encore, des Roumains. Or, tous ne sont pas là (lire ci-dessous). Et la montée à l’alpage approche, elle qui débute généralement durant la seconde quinzaine de mai.

Bien sûr, les quelque 600 exploitations d’estivage que compte le canton de Fribourg sont souvent exploitées depuis la plaine, ou alors par les familles des paysans. Mais il n’est pas rare qu’un employé monte à l’alpage pour clôturer, entretenir les parcs ou aider à la fabrication du fromage. Directeur de la Chambre fribourgeoise d’agriculture, Frédéric Ménétrey les estime à plusieurs dizaines dans le sud du canton chaque été. «Cette année, ils ne seront sans doute pas tous présents.»

Première vague arrivée

Dans l’urgence du début de la crise, le Secrétariat d’Etat à l’économie (SECO) a facilité la rentrée en Suisse d’une première vague de travailleurs jusqu’à fin mars, leur offrant la possibilité de venir sans permis de séjour, mais avec un contrat de travail ou une simple attestation. Ceux-là ont pu venir et sont au travail. Depuis, les déplacements à travers l’Europe sont devenus très compliqués, avec des conditions qui changent d’une semaine à l’autre, d’un pays à l’autre. Pour autant, la situation n’est pas encore trop tendue, y compris en plaine: la saison étant en avance cette année, beaucoup de maraîchers avaient fait venir leurs employés avant le début de la crise, constate le Fribourgeois Francis Egger, vice-directeur de l’Union suisse des paysans (USP). Mais c’est maintenant que les choses risquent de se compliquer, avec le boom des récoltes et la montée à l’alpage.

Trois scénarios

L’USP, dont une task force se réunit chaque matin, travaille sur trois scénarios. Dans le premier, les ouvriers étrangers continuent tant bien que mal de pouvoir venir en Suisse. «Mais certains ne veulent même plus venir, par crainte du coronavirus…» constate Francis Egger.

Deuxième scénario: de nombreux travailleurs contraints au chômage partiel, notamment de la restauration et de l’hôtellerie, souhaitent offrir leurs services aux agriculteurs en manque de bras. Plusieurs plates-formes en ligne, recensées sur le site de l’USP, permettent d’ailleurs aux uns et aux autres d’entrer en contact (agrix.ch, agrarjobs.ch, coople. com ou encore zalp.ch). En outre, le Conseil fédéral a décidé que, durant la crise, il sera possible de cumuler, sous condition, les revenus d’une occupation provisoire et du chômage partiel. Une incitation certaine. Troisième piste enfin, le recours à l’armée et à la protection civile, pas moins de 3000 volontaires s’étant déjà annoncés.

Personnel formé

Mais voilà: les bonnes volontés ne sauraient combler le manque de main-d’œuvre étrangère. Car l’agriculture a besoin de personnel formé. «Il y a souvent un problème d’adéquation entre les profils que l’on trouve sur ces plates-formes et les besoins des agriculteurs», confirme Frédéric Ménétrey.

Se pose aussi la question de la disponibilité de ces «chômeurs du Covid-19»: quand l’économie aura redémarré, voudront-ils rester dans les champs? On peut en douter. Et les agriculteurs n’auront alors aucune assurance de pouvoir les remplacer par la maind’œuvre étrangère si celle-ci est toujours limitée dans ses déplacements. «Cette grande insécurité est un souci pour beaucoup d’agriculteurs, car ils ne peuvent pas planifier», résume Frédéric Ménétrey.

Chacun espère que la situation se décante rapidement. «A l’USP, on a d’abord craint la catastrophe, reconnaît Francis Egger. Aujourd’hui, on voit que ce n’est pas si grave.» A l’effet domino des débuts, quand chaque pays a fermé ses frontières, a suivi une prise de conscience à l’échelle européenne de la nécessité de laisser les travailleurs circuler. La Suisse n’est donc pas totalement coupée de sa maind’œuvre étrangère.

«Et puis les agriculteurs ont anticipé, fait remarquer Francis Egger. En Gruyère comme ailleurs, ils ont l’habitude de se débrouiller…» Pour lui, il est un autre souci qui commence à peser lourdement sur l’agriculture, de plaine comme de montagne: la sécheresse. Et contre ça, la fin du chapitre coronavirus ne pourra rien. ■


Ouvriers aux abonnés absents

La Suisse compte quelque 14 000 alpages, dont environ un quart exploité par des employés venus de l’étranger. La Suisse alémanique emploie passablement d’Allemands, d’Italiens et des ressortissants des pays de l’Est, parfois en grand nombre sur des consortages, de grands alpages regroupés. Or, aujourd’hui, tous ces travailleurs ne sont pas autorisés à traverser les frontières ou peinent à se déplacer. La pandémie de Covid-19 complique donc passablement les choses. «Les exploitants aimeraient bien être fixés», témoigne Francis Egger, vice-directeur de l’Union suisse des paysans (USP).

Dans le sud du canton de Fribourg, les alpages sont plus petits et souvent exploités depuis la plaine. Mais quand il y en a un, l’ouvrier à l’année monte aussi au chalet l’été venu. «Je n’ai encore que très peu d’informations, c’est encore un peu tôt», concède Henri Buchs, président de la Société fribourgeoise d’économie alpestre (SFEA). «Je n’entends rien d’alarmant pour le moment, mais ça pourrait le devenir…»

L’agriculteur de Cerniat le sait aussi: ses pairs sont prévoyants et ont la débrouille dans le sang. «Bien sûr, dans les alpages, ils ont besoin d’aide, surtout là où il y a des chaudières. Mais ils comptent sur le fait que leur ouvrier habituel va quand même pouvoir venir: suivant l’évolution de la situation sanitaire en Suisse, cela pourrait se détendre.» Sans compter que, malgré tout, bien des paysans travaillent encore en famille, sans ouvrier.

Pas rentré de vacances

L’employé de Pierre Boschung, à La Tour-de-Trême, n’est pas revenu de ses vacances chez lui, en Roumanie. «Il est parti en février, avant la crise…» Il était censé revenir le 11 avril. «Il craint de laisser sa femme, ses deux enfants en bas âge et ses parents tout seuls. Et puis, vue de Roumanie, la Suisse fait peur: c’est l’un des pays les plus touchés. Il ne veut plus venir cette année.»

Par le biais d’une petite annonce dans le journal Terre & Nature, Pierre Boschung a trouvé un autre Roumain resté en Suisse. Une chance! Le Tourain n’a pas recouru aux plates-formes en ligne qui regorgent pourtant de travailleurs mis au chômage par la pandémie. «Sur un alpage, le travail est compliqué, c’est rude. On ne peut pas former quelqu’un qui s’en ira un mois plus tard, dès que l’économie redémarrera. Ces platesformes, c’est plutôt pour les maraîchers, sur de brèves périodes.»

A Broc, l’ouvrier roumain de Nicolas Remy s’apprête, lui, à rentrer au pays, car sa femme doit accoucher début mai. Il ne sait pas encore comment, mais il part. Son beau-frère, qui travaille aussi sur l’exploitation, est déjà en Roumanie. «Lui, il ne veut plus revenir, car il a peur de la situation en Suisse», regrette Nicolas Remy. Pour l’heure, un remplaçant est arrivé, mais juste pour un mois. Ensuite, un autre devrait rentrer de Roumanie. «En tout cas, je l’espère…»

Sondage envoyé

La situation est paradoxale, constate le Brocois, car les Roumains ont besoin de venir travailler en Suisse. Ils ne sont pas contents de cette situation. «Cette pandémie complique bien les choses. Autour de moi, j’entends dire qu’elle cause pas mal de soucis.»

La Chambre fribourgeoise d’agriculture en est bien consciente. Elle a envoyé un sondage – encore en cours – aux agriculteurs fribourgeois pour connaître leur situation actuelle. Selon les résultats, elle étudiera les pistes à suivre. JnG

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