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Quand les pendulaires font du bien à la ville

Bulle développe une économie qui attire du monde: les pendulaires sont plus nombreux à y entrer qu’à y sortir. ARCH - C. LAMBERT

PAR YANN GUERCHANIK

Il y a davantage de gens qui entrent à Bulle pour y travailler que de gens qui en sortent pour travailler ailleurs. Un solde positif de pendulaires qui s’élève à 2391 personnes. Alors que le canton accuse, lui, un solde négatif de 22 449 personnes (voir le graphique ci-dessous). Ces chiffres ont été articulés par le conseiller communal Nicolas Wysmueller lors de la récente rencontre citoyenne avec la population bulloise (La Gruyère du 19 octobre). Fournis par le Service de la statistique du canton, que nous disent-ils?

D’abord, ils sont rares à l’échelle d’une commune. «Ces chiffres font généralement défaut en ce qui concerne les petites entités géographiques», explique le chef de service adjoint Reto Messikommer. C’est à lui qu’on doit cette statistique pour Bulle. Il s’est efforcé de cumuler cinq ans de relevés structurels (2012- 2016): «Les chiffres de 2017 sont disponibles depuis peu et l’on pourrait réactualiser le tableau, ce qui demande un travail important. Néanmoins, les résultats en question sont encore largement d’actualité.»

Mais venons-en à l’essentiel: + 2391 pendulaires entrants, c’est bien docteur? «C’est réjouissant, assure Delphine Rime, docteure en sciences humaines et sociales. Cela signifie que des emplois se développent à Bulle.»

Collaboratrice scientifique auprès du Secrétariat d’Etat à l’économie (SECO), la Gruérienne relève: «Il faut bien voir que Bulle n’échappe pas à une tendance globale. En Suisse comme ailleurs, les gens se déplacent de plus en plus.» Les changements de travail et d’employeur sont beaucoup plus fréquents aujourd’hui, de même que les séparations et les familles recomposées, ce qui induit également de la mobilité. Sans compter les infrastructures routières et ferroviaires plus performantes. Bulle peut se réjouir d’autant plus que cette pendularité entrante va de pair avec une croissance de la population. Autrement dit, les gens viennent à Bulle pour travailler, mais aussi pour s’installer. «Rien à voir avec l’arc jurassien où l’on observe une forte croissance de l’emploi, mais une démographie en perte de vitesse, explique Delphine Rime. Là bas, ce déséquilibre pose problème.»

Mobilité dans la région

Mieux, les pendulaires qui entrent à Bulle viennent pour la majorité des communes environnantes. «Il y a une forte mobilité à l’intérieur de la région. Ce qui explique notamment le monde sur les routes et la marge de progression dans l’utilisation des transports publics.» On est donc loin de l’idée qui voudrait que l’ensemble des pendulaires gruériens partent travailler à Berne ou à Lausanne.

Autre constat qui vaut pour la région: «On remarque que des gens nés ici reviennent s’y installer après une formation supérieure dans un autre canton. Cela veut dire qu’ils y trouvent les infrastructures et les services adéquats. Il y a trente ans, ces gens-là on ne les revoyait pas.»

De son côté, le chef du Service de la statistique fribourgeois Pierre Caille relève: «En fait, le solde pendulaire positif définit la notion de centre. Bulle en est un à l’échelon de la Gruyère. En général, les emplois se trouvent principalement dans les centres. Ces derniers en abritent beaucoup par rapport à leur population. Ces emplois sont donc en partie occupés par des actifs provenant d’autres communes.»

Et le statisticien d’ajouter: «Fribourg enregistre un solde pendulaire assez fortement négatif, comme Argovie, Thurgovie, Bâle-Campagne ou Schwytz. Cela est dû au fait que notre canton est proche de deux puits d’emplois importants: Berne et le Léman.»

Economie résidentielle

Un solde positif de pendulaires, cela signifie pour le moins que Bulle développe une économie qui attire du monde. Cela veut dire également qu’elle a un certain potentiel en termes d’économie résidentielle: du commerce de détail à la restauration, en passant par l’entrée au musée, ou encore par les services à la personne comme le fitness ou le coiffeur.

Au chef-lieu de tirer son épingle du jeu et de profiter du pendulaire entrant qui passe une partie de sa journée en ville comme du pendulaire sortant qui rapatrie son revenu de l’extérieur et le dépense le soir venu. Promouvoir le secteur tertiaire à forte valeur ajoutée dans la zone industrielle de la Pâla, c’est très bien. Mais inciter les pendulaires à la dépense en soutenant notamment les commerces de proximité, c’est pas mal aussi (voir encadré).

Delphine Rime attire toutefois l’attention sur la nécessité de développer la réflexion à l’échelle régionale. «Il faut un équilibre. Il est logique de développer un pôle tertiaire à forte valeur ajoutée à Bulle. De même, une infrastructure comme le Centre sportif régional fait parfaitement sens. Au-delà de cette concentration, il faut veiller à maintenir une certaine vitalité dans les villages. Il faut que des choses s’y passent, que les sociétés locales continuent d’y proposer des animations. A cet égard, il existe un véritable potentiel de synergie aux niveaux touristique et culturel.»

En résumé, les pendulaires, même sortants, sont bons pour l’économie… tant qu’ils ne font pas que dormir sur place. Sinon, la ville se transforme en citédortoir. Que dire encore du canton? «Par rapport à ses voisins, Fribourg manque encore d’attractivité, relève Delphine Rime. Il faudrait attirer quelques gros employeurs en plus, surtout dans le tertiaire à forte valeur ajoutée.» ■


Une ville française modèle

Les médias français se penchent régulièrement sur le pays houdanais, champion de l’emploi en France. Cette collectivité territoriale de moins de 30 000 habitants fait figure de modèle. La zone d’emploi de Houdan et les 28 communes qui la composent, basées dans les Yvelines, enregistrent un taux de chômage de 4,7% seulement (… sans comparaison toutefois avec le district de la Gruyère et ses 2,7%). A cinquante minutes de la gare Montparnasse, la ville de Houdan voit venir à elle beaucoup de pendulaires. Et elle a su en tirer profit. Notamment grâce au dynamisme de son centre-ville, animé par pas moins de 120 commerces, soit une boutique pour 30 habitants dans cette cité de 3700 âmes. Le maire Jean-Marie Tétart y mène une véritable protection des commerces de proximité. «Concrètement, une boutique qui ferme ne peut pas être remplacée par des logements ou des bureaux, ce qui favorise le développement du commerce de détail», relèvent LeFigaro et FranceSoir. Le maire en est persuadé: «La somme des emplois de ces 120 commerces est supérieure au nombre d’emplois qu’auraient généré quelques grandes surfaces.» A l’échelle régionale, s’ajoute également un taux fiscal avantageux par rapport au reste du pays et des terrains nettement moins chers qu’ailleurs. De quoi accueillir quelque 600 pendulaires qui, à l’inverse, sortent d’Houdan pour travailler à Paris et qui trouvent de quoi dépenser leur revenu à leur retour. YG

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