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Quitter Fribourg pour Genève, une affaire réglée en coulisse

Plus d’une dizaine de joueurs ont plié bagage pour rejoindre Genève depuis Fribourg et inversement. Mais qu’est-ce qui peut tant les motiver? JEAN-BAPTISTE MOREL

PAR MAXIME SCHWEIZER

Depuis 2013, Fribourg Olympic et les Lions de Genève ont remporté 15 titres sur 22 possibles. Laissant des miettes à Neuchâtel, Lugano et Monthey. A tel point, que la majorité des meilleurs joueurs suisses se sont limités à ces deux destinations. La liste est longue: Roberto Kovac, Jérémy Jaunin, Arnaud Cotture, Marko et Dusan Mladjan, Paul Gravet, Justin Solioz, Brandon Kuba, Andrej Stimac, Natan Jurkovitz.

Les supporters fribourgeois ont volontiers vilipendé les Lions de Genève et une phrase résonnait souvent à Saint-Léonard. «De toute façon, ils n’ont que l’argent.» L’augmentation de salaire est un avantage que propose Genève, mais il ne constitue pas le seul facteur d’une séparation. Outre les retours au bercail, pourquoi quitter Fribourg, qui a remporté six des sept derniers trophées, pour rejoindre son grand rival? Trois facteurs se dégagent: l’usure psychologique, l’argent et les conditions contractuelles.

Une relation «brisée»

A l’été 2017, un cas avait fait couler beaucoup d’encre et lancé les «hostilités». Arnaud Cotture, alors capitaine d’Olympic, avait rejoint «l’ennemi» après six saisons à Saint-Léonard. «Je ne peux pas nier que l’argent n’a pas joué un rôle dans ma décision, confie l’ailier de 25 ans. Mais l’usure psychologique était très forte. J’avais besoin de voir autre chose. De plus, ma relation avec Petar (Aleksic) s’était brisée.»

Une usure que ressentent souvent les joueurs après plusieurs saisons dans un club. «C’est le facteur numéro un d’un départ», confirment plusieurs acteurs du basket suisse.

En rejoignant le bout du lac, le Valaisan d’origine a empoché «entre 1000 et 2000 francs nets mensuels de plus» qu’à Fribourg. «J’avais ce sentiment qu’Olympic ne m’estimait pas à ma juste valeur. J’avais pris cela comme un manque de considération.» Durant sa dernière année au Pommier, son salaire a baissé et il a signé son retour à Olympic pour ce même montant le mois passé.

Agé de 22 ans en 2017, Arnaud Cotture voulait également voir s’il était prêt à franchir une étape et ainsi jouer à l’étranger. «Je me suis éloigné de mes proches et j’ai pu me tester personnellement. J’ai remarqué que cette distance ne me plaisait pas, donc je suis revenu.»

Salaires jusqu’à 7000 francs

Les salaires des Suisses fluctuent selon leur statut. Selon plusieurs sources, ils varient entre 6000 et 7000 francs nets par mois pour les plus élevés et tournent autour de 3000 francs nets pour les autres joueurs. Ensuite, tout dépend des agents, qui peuvent prendre une commission allant jusqu’à 10% de la valeur totale du contrat.

Les Lions de Genève ont la réputation de surpayer leurs internationaux helvétiques. Une image que son président Imad Fattal regrette. «C’est faux, car j’ai les chiffres. Pour en avoir discuté avec plusieurs personnes, je sais que mon travail d’avocat et ma personnalité au bord du terrain ont amené les fantasmes à s’amplifier.»

La politique adoptée à la création des Lions, en 2010, n’y est pas étrangère non plus. «C’est vrai que nous proposions des salaires confortables. De même qu’entre 2014 et 2016, nous rétribuions grassement Dusan Mladjan et David Ramseyer.» Des salaires que les Genevois ne pourraient plus assumer aujourd’hui selon le président.

Les prix ont également grimpé au cours des dix dernières saisons. «La Suisse est un petit marché, seuls trois clubs peuvent gagner le titre, poursuit Imad Fattal. Donc la lutte pour recruter les meilleurs joueurs est rude… Les prix se sont enflammés avant de plafonner.»

Du côté de Fribourg, on se complaît dans ce rôle «de fondateur et d’amplificateur». «Quand les joueurs viennent chez nous, nous les développons, expose le président fribourgeois Philippe de Gottrau. C’est ‘‘normal’’ qu’ils gagnent plus ailleurs s’ils décident de partir.» Cependant, il ne faut pas croire que certains Fribourgeois sont tous moins bien payés. «Nous avons fait un effort avec Babacar Touré et Natan Jurkovitz notamment.» Comme Touré s’est blessé en novembre, l’enveloppe disponible est revenue à Juwann James. «Un salaire que nous ne pourrions pas supporter», assure Imad Fattal.

A Saint-Léonard, certains joueurs acceptent de gagner entre 5 et 10% de moins qu’ailleurs, car Olympic leur offre des conditions optimales. «La salle reste accessible à tout moment, nous jouons l’Europe et le haut du tableau en Suisse», énumère Philippe de Gottrau.

Il est acté que certains élément gagnent moins à Fribourg qu’à Genève, Neuchâtel ou Massagno. Cela s’explique par la politique prônée par Olympic. «Nous voulons une structure pérenne tout en devenant champion de Suisse, explique Philippe de Gottrau. En développant ce professionnalisme (lire encadré), nos joueurs se sentent mieux.»

Cependant, certains empochent un plus gros salaire du côté des champions en titre, à l’exemple de Paul Gravet. «A son départ de Genève, Paul était dans son premier contrat pro, quand il est venu chez nous. Il est normal que nous ayons revu son revenu à la hausse.»

Des extras équivalents

Chacun des deux présidents a partagé les chiffres de leur masse salariale (coaching staff compris). A Fribourg, elle s’élève à moins de 30% du budget de 1,5 million alloué à la première équipe, soit «l’équivalent d’un peu plus de 400 000 francs». A Genève, elle coûte «moins de 500 000 francs» aux Lions (1 million de budget), soit la moitié. Une différence qui s’explique notamment par la participation à la Coupe d’Europe pour Olympic.

En ce qui concerne les à-côtés, entre Fribourg et Genève, ils sont équivalents. Les deux clubs mettent à disposition une voiture, un logement, et paient certains repas ainsi que les charges sociales à leurs joueurs.

Les primes de matches entrent également dans l’équation au moment de la signature. «Nous avons toujours plaisir à payer les primes, reprend Philippe de Gottrau. Peut-être que notre salaire de départ n’est pas attractif pour les gros poissons, mais nos primes l’augmentent généreusement.» Olympic a proposé ce genre d’accord à plusieurs joueurs cotés du championnat pour s’assurer leurs services. De même que Genève. «Je sais que nos primes sont plus élevées», concède Imad Fattal.

Prise de risques genevoise

Autre point intéressant, les Lions prennent davantage de risques pour bâtir leur équipe. Le cas de Natan Jurkovitz, néogenevois, l’illustre parfaitement. «Nous lui avons offert une clause de transfert pour l’étranger activable jusqu’à la fin de l’année», détaille Imad Fattal. Nous sommes conscients que Natan ne jouera peut-être pas à Genève, mais nous savons qu’il ne partira que s’il reçoit une proposition intéressante. Le risque est donc maîtrisé.» Un risque que Fribourg n’était pas prêt à prendre. En 2018, le pari s’était révélé perdant pour les Lions. Le meneur Jonathan Kazadi était finalement parti au CB Valladolid en 2e division espagnole).

La situation extradordinaire que vit le monde du sport a affecté les clubs suisses de basket, même les deux mastodontes. «Nous allons voir notre budget diminuer de 15% environ, déplore Imad Fattal. Les chiffres vont se réduire pour tout le monde. Il n’y aura aucune exception.» Même les salaires des joueurs vont être revus à la baisse dans certains cas. ■


Pour éviter de revivre l’affaire du BBC Monthey

Durant la saison 2016-2017, le BBC Monthey avait décidé de monter une armada pour fêter dignement son 50e anniversaire. Avec succès, puisque le club valaisan avait remporté la SBL League Cup et le championnat. Cependant, il a failli disparaître l’année suivante à cause du trou financier miné par cette «folie». Le BBC Monthey avait été sauvé de la faillite en grosse partie par Régis Udressy, entrepreneur régional. La dette s’élevait à 850 000 francs.

«Cette affaire me reste en travers de la gorge, déclare le président genevois Imad Fattal. Monthey a triché et nous a privé de titre, de même que Fribourg. Monthey a gagné ses trophées à crédit.» Pour éviter un tel scénario à l’avenir, Philippe de Gottrau, président de Fribourg Olympic, souhaite davantage de transparence au niveau de la masse salariale, des revenus et des dépenses des clubs suisses. Un plan que les championnats français professionnels (Pro A et Pro B) ont adopté. «De cette manière, Swiss Basketball aurait une vision d’ensemble et pourrait sanctionner les clubs qui ne respectent pas les règles, indique Philippe de Gottrau. On pourrait alors séparer la masse salariale du budget et montrer patte blanche.»

Pour Imad Fattal, cette idée n’est pas saugrenue, mais impensable sur notre territoire. «Je suis entièrement d’accord avec la proposition de Philippe, mais je ne vois pas comment on pourrait l’introduire en Suisse. Seuls quatre équipes pourraient l’appliquer. Pour les autres, ce serait extrêmement compliqué, car ils vivotent plus qu’ils ne vivent.» Il faudrait donc que les clubs se professionnalisent à tous les niveaux. «En France, la masse salariale représente environ 30% du budget total, chez nous elle vaut 50%, évoque Imad Fattal. On voit bien que nous devons encore progresser à ce niveau.»

Fribourg a d’ailleurs commencé à emprunter ce chemin. «Nous avons engagé Olivier Jordan comme manager général et un troisième coach pour l’Europe. De cette manière, nous offrons une atmosphère de travail professionnelle très importante pour les joueurs. L’argent supplémentaire est investi ici au lieu de toujours augmenter le salaire de l’effectif.» MS

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