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Société

Les associations de quartier, entre cohésion et contre-pouvoir

La rue des Agges s’est transformée. De nouvelles constructions, de nouveaux habitants et une mobilité bouleversée marquent ce coin de Bulle d’où émerge une envie d’association de quartier. ANTOINE VULLIOUD

PAR YANN GUERCHANIK

Les quartiers se transforment au gré des constructions et des voies de communication. Certains en deviennent méconnaissables. Dans les grandes villes, le fonctionnement bureaucratique et centralisé de l’administration rend complexe le lien avec les habitants. Face à ces phénomènes d’urbanisation, les associations de quartier sont apparues comme une réponse possible. Mais ces associations ne se ressemblent pas toutes.

A Bulle, une association de quartier pourrait voir le jour du côté de la rue des Agges (La Gruyère du 1er février). L’avenir dira quel en sera le visage. Les motivations qui entraînent les habitants dans ce genre d’aventure varient en effet. Il y a ceux qui souhaitent raviver la communauté, qui veulent animer leur coin de ville en organisant des fêtes, qui désirent y renforcer l’écoute, l’entraide et retrouver un peu de l’esprit du village ou de la paroisse d’antan. Pour d’autres, la chose est éminemment politique.

Un contre-pouvoir

Certains habitants se regroupent pour faire entendre leur voix. Ils ambitionnent d’être une force de participation citoyenne dans le processus urbain. Ils veulent intervenir dans l’aménagement de la ville et influencer son devenir. Le genre d’association de quartier qui peut devenir suspecte aux yeux des autorités…

D’un côté, l’élu aurait tendance à encourager la constitution d’associations qui contribuent à la démocratisation de la vie locale. De l’autre, il craint de voir ces dernières s’approprier la représentation de la population. Autrement dit, les associations de quartier posent le problème de la représentativité et des relations entre élus et citoyens.

Cela peut aller plus loin. Lorsqu’un organisme de quartier résulte d’une volonté politique de la part d’une force d’opposition, par exemple. L’association apparaît alors comme un contre-pouvoir destiné à renverser les autorités lors des prochaines élections. A l’inverse, les autorités en place sont susceptibles de favoriser ellesmêmes la création d’associations pour que ces dernières participent au jeu politique local à leurs côtés.

Des intentions claires

Urbaniste de la ville de Bulle, Alexandre Malacorda connaît bien la problématique. «Lorsque je travaillais au Service d’urbanisme de Meyrin, j’ai eu affaire à deux types d’associations de quartier. Celles qui militent pour le vivre ensemble et qui visent à travailler en bonne intelligence avec les collectivités et améliorer la qualité de vie des habitants en général. Et celles qui constituent une sorte de “bras armé” pour défendre des intérêts d’ordre privé ou empêcher tout changement ou développement.»

Et le chef de département de relever: «Les premières sont toujours utiles. A Genève, de telles associations étaient intégrées aux procédures des différents projets. Leurs connaissances du tissu local étaient précieuses et enrichissantes. A l’inverse, j’ai vécu des expériences où plusieurs propriétaires se mettent ensemble dans une volonté très peu constructive et sans tenir compte des planifications supérieures.» Pour Alexandre Malacorda, il est donc essentiel que les associations possèdent «des statuts qui stipulent clairement leurs intentions». Autre expérience du côté de Fribourg, qui évolue depuis longtemps avec des associations de quartier (voir ci-dessous également). «Mes collègues du Conseil communal et moi-même entretenons de bonnes relations avec ces associations, confie Andrea Burgener Woeffray, chargée des Services d’urbanisme et architecture de la ville. Nous nous rendons à chacune de leurs assemblées annuelles. Auparavant, l’élu s’efforce de s’informer auprès de tous les dicastères sur les sujets qui touchent le quartier en question. Cela nous permet d’informer au mieux les habitants. Ce qui est très apprécié!»

Andrea Burgener Woeffray fréquentait l’association de quartier de La Neuveville avant d’être élue. «En tant qu’habitante, j’ai appris beaucoup de choses sur les projets de la ville, en lien avec la mobilité notamment.» Au sein de son département, elle n’hésite pas désormais à interpeller les associations de quartier: «Lorsque Fribourg a repris les cabines Swisscom, nous les avons contactées pour savoir si cela les intéressait. Presque toutes ont fait des propositions. Nous venons de faire de même concernant des bacs à fleurs. La ville développe des projets à leurs côtés, mais ce sont les associations qui les réalisent concrètement.»

La conseillère communale relève encore: «Cette semaine, je me rends dans mon quartier de La Neuveville pour expliquer pourquoi nous fermons le pont de Saint-Jean quelques semaines.» Les associations ne sapent-elles pas une partie des prérogatives des conseillers généraux? Après tout, ces derniers sont les représentants directs des citoyens. «Tout dépend qui est élu, rétorque Andrea Burgener Woeffray. Il se peut que beaucoup de citoyens d’un même quartier soient élus, et très peu d’un autre.»

Des portes d’entrée

Quand on demande à Christian Wiesmann si les associations de quartier c’est beaucoup de discussions pour pas grand-chose, il rigole doucement: «C’est tout le contraire! Si les gens sont bien informés, ils comprennent mieux les arguments de la ville. Il y a moins d’oppositions. Pour les autorités, c’est important de récolter les avis et de comprendre les besoins. Après tout, les habitants sont les principaux intéressés: il faut les écouter.»

Ancien urbaniste du canton de Fribourg et de la ville de Berne, il loue ces organisations qui «font vivre la cité» et qui sont «des portes d’entrée pour discuter de tous les projets». «La ville de Berne a institutionnalisé ces associations. Politiquement, elle a décidé de mettre à disposition de l’argent pour la création de six grandes entités avec un secrétariat professionnel.» Pas de doute pour Christian Wiesmann: «Les associations de quartier, c’est une chance.» ■


D’abord créer du lien social

Née en 1985, l’Association du quartier de Pérolles, à Fribourg, s’appelle Habiter Pérolles depuis l’an dernier. Tout un symbole. D’assez revendicative et politique à ses débuts, elle est devenue avant tout créatrice de lien social. «C’est la priorité du comité actuel», assure l’un de ses membres, Emmanuel Michielan.

Un comité qui a renoncé à nommer un président. «Ça personnalisait la fonction, qui était souvent tenue par un politique, ce qui contribuait à créer des blocages.» Ça attirait aussi d’autres profils que ceux recherchés aujourd’hui: «Notre but n’est ni le combat politique ni la préparation au Conseil général ou au Conseil communal.»

Dans son local de quartier, Habiter Pérolles essaie surtout de réunir les différentes populations pour créer du lien entre elles. «Du lien socioculturel pour améliorer la qualité de vie, insiste Emmanuel Michielan. Pas tant, comme par le passé, pour râler sur un sens unique, un parking ou des containers mal placés.»

Réunir et proposer

Parmi ses activités, citons les fêtes traditionnelles comme la Saint-Nicolas, les visites à l’EMS Villa Beau-Site par des familles du quartier ou la création d’îlots de développement durable. En collaboration avec la ville et Reper, l’association va bientôt proposer des animations aux jeunes. Et elle cherche à recruter des retraités pour en faire de même avec les seniors. En son temps, l’ASQUPE avait été à l’origine des Fêtes de Pérolles, reprises depuis par les commerçants, et avait rendu possibles les pistes de pétanque proposées par le kiosquier de Sémiramis.

«On est une caisse de résonance et d’agrégation des petites initiatives à vocation collective et communautaire», résume Emmanuel Michielan. Un lieu de propositions aussi: l’association demande depuis longtemps le réaménagement du parc Sémiramis. D’abord sourde, la ville s’est mise à l’écouter. Enfin, elle se prononce sur les enjeux urbains, telle la révision du PAL.

Et en cas d’apparition de problèmes, elle avertirait les autorités sur la détérioration de la qualité de vie. «Mais Pérolles est devenue assez tranquille…» Ce rôle de lien socioculturel, l’association – bénévole – ne peut le remplir seule. Elle collabore donc activement avec la ville, notamment sa déléguée à la cohésion sociale. «Car nous avons besoin de professionnels pour mettre en place les propositions que nous contribuons à faire émerger.» JnG


Pour éviter les phénomènes «néfastes»

Qu’en pense le syndic de Bulle? «Une association qui se constitue pour défendre son quartier envers et contre tout, en agissant comme si le reste de la ville n’existait pas… Ça ne va pas!» fustige Jacques Morand. «Mais, s’il s’agit d’améliorer le vivre ensemble, d’apprendre à connaître ses voisins et de s’aider mutuellement, alors je dis: “Faites des associations de quartier!”»

Parmi les préoccupations du syndic, on trouve la question de la représentativité (voir ci-contre): «Dans les villages, il arrive que les habitants d’un quartier se réunissent en assemblée pour faire pencher la balance. Ce sont des gens qui ne viennent jamais le reste du temps et qui se soucient uniquement de leurs propres intérêts. C’est un phénomène néfaste. On biaise la démocratie en quelque sorte. A Bulle, le Conseil général permet de régulariser les choses de ce point de vue.»

Par ailleurs, Jacques Morand tient à préciser: «Le Conseil communal répond toujours aux groupes qui le sollicitent pour des problèmes particuliers. Nous écoutons, nous expliquons. Et s’il y a des bonnes idées, on les prend.» YG

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