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Un mouvement «à la mode», mais pas dénué d’impact

Depuis janvier, les jeunes Fribourgeois sont descendus plusieurs fois dans la rue pour dire leur inquiétude face aux changements climatiques. ARCH - A. VULLIOUD

PAR DOMINIQUE MEYLAN

Une nouvelle grève demain, suivie d’une manifestation samedi, le climat continue de mobiliser. Au niveau politique aussi, la question a occupé le Conseil des Etats cette semaine avec l’examen de la loi sur le CO2. Sans compter la Suédoise Greta Thunberg, égérie de la lutte contre le réchauffement climatique, omniprésente dans les médias.

A l’Université de Fribourg, une nouvelle chaire, dite des humanités environnementales, mène une réflexion avec un prisme éthique sur les défis environnementaux et les stratégies politiques qui les accompagnent. Ivo Wallimann-Helmer en est responsable. Il nous livre son regard sur les événements des derniers mois.

La grève du climat et les manifestations qui l’accompagnent marquent-elles un tournant dans la prise de conscience du changement climatique?

Ivo Wallimann-Helmer. Cela a commencé il y a plus d’une année, mais je pense que oui. Cela a changé la manière dont les gens voient le climat. Ils commencent à comprendre le problème et la diffusion de l’information est plus large.

Peut-on en attendre des retombées concrètes?

Pour la société et pour les politiciens oui, mais pas pour l’administration suisse qui fait déjà beaucoup pour le changement climatique. Pendant longtemps, certains politiciens ont eu des difficultés à empoigner cette question. Avec les manifestations, les partis sentent aujourd’hui que, s’ils veulent sortir gagnants des élections, ils doivent inscrire ce thème à leur agenda.

Comment se fait-il que la prise de conscience soit si tardive?

Il y a plusieurs explications. La première, c’est que le phénomène est connu, mais les mesures concrètes pourraient coûter cher. Les citoyens devraient se restreindre et les politiciens qui veulent combattre le réchauffement climatique risquent de ne pas être réélus. Il est plus facile pour eux de ne rien faire.

Une autre explication, c’est que les conséquences des émissions de gaz à effet de serre dans l’atmosphère aujourd’hui ne seront visibles que dans cinquante ou cent ans. Cet horizon est trop lointain pour la plupart des gens, qui peinent à être motivés à agir.

Finalement, et c’est une dernière explication, si un problème existe ici et maintenant, il existe un contrôle social pour qu’aucun devoir éthique ne soit violé. Mais les générations futures ne peuvent pas nous surveiller.

On parle davantage des glaciers qui disparaissent que des mouvements de population. Ignoret-on certaines conséquences du réchauffement climatique?

Beaucoup d’événements, comme les mouvements de population ou le déplacement des plantes vers le Nord, ne sont pas si faciles à relier au réchauffement climatique. Des phénomènes comme ceux-ci ne sont pas très bien compris par la société. Mais, ils vont poser de grands problèmes pour l’humanité et la biodiversité.

Le mouvement est parti des jeunes. La nouvelle génération porte-t-elle un regard différent sur le réchauffement climatique?

Je pense qu’il y a effectivement une meilleure prise de conscience. D’un autre point de vue et sans jugement aucun, c’est à la mode de faire partie de ce mouvement.

Est-ce donc un simple effet de mode?

Une mode n’est plus une mode si elle entraîne des changements politiques, culturels ou dans la manière de vivre. J’espère que cela soit le cas. Il faut voir sur quoi va déboucher ce mouvement. Le problème, c’est que cela prend beaucoup de temps. Et nous ne pouvons pas attendre pour agir.

Le Conseil national refusait il y a quelques mois l’ensemble de la loi sur le CO2. Cette semaine, le Conseil des Etats est entré en matière sans opposition. Est-ce que cela dénote un changement politique?

Oui, la pression de la rue a joué un rôle au moment du vote. Mais il faut voir ce qui sera réalisé. Si les Chambres acceptent des mesures vraiment fortes, une taxe sur le kérosène par exemple, il y aura ensuite une discussion sur les exceptions. Est-ce trop élevé? Cela fait-il peser trop de coûts sur la population? Et là, tout le système peut s’écrouler.

Ces mesures, discutées au Parlement, peuvent-elles être acceptées démocratiquement?

J’espère que le peuple y sera favorable. Mais il faut examiner les conséquences de ces décisions, les problèmes sociaux ou moraux qu’elles entraînent et essayer de les corriger. Par exemple, augmenter le prix de l’essence peut empêcher les plus pauvres de se déplacer comme ils le voudraient.

C’est similaire avec d’autres mesures comme l’adaptation ou la manipulation technique du climat. Mais ces deux branches de l’action climatique ne sont pas beaucoup discutées publiquement à l’heure actuelle.

La technologie pourrait-elle nous aider à réduire les émissions de CO2?

Tout à fait, mais ça ne veut pas dire qu’il faut renoncer à réduire nos émissions. Il y a deux façons d’agir: la première, c’est d’extraire le carbone de l’atmosphère, le séquestrer, le rendre liquide et l’enterrer. Cette technologie existe et, selon les modèles, devrait être appliquée à grande échelle d’ici quelques années. D’autres méthodes sont discutées, mais personne n’en veut. La plus connue consiste à injecter des sulfates dans l’atmosphère.

Pourquoi parle-t-on aussi peu de ces solutions?

La gouvernance de ces technologies pose d’importantes questions, notamment éthiques. Cela exige des discussions afin de ne pas rencontrer les problèmes posés par exemple par les déchets nucléaires. Au sommet de Paris, la question de l’adaptation a été discutée. La Suisse fait déjà beaucoup à travers son administration. Quant aux technologies d’émissions négatives, les politiciens ne connaissent pas suffisamment, à mon avis, la nécessité de ces technologies pour atteindre l’objectif de l’accord de Paris.

Est-ce positif, selon vous, qu’une figure comme Greta Thunberg incarne ce mouvement pour le climat?

Greta Thunberg est capable de faire bouger beaucoup de gens et cela, c’est vraiment remarquable. Mais, de toujours parler d’elle, ce n’est bon ni pour le mouvement, ni pour Greta, ni pour le changement climatique. Au final, c’est nous qui devons agir, pas seulement Greta. Il ne faut pas attendre qu’elle prenne le leadership.

Comment une chaire comme la vôtre participe à la lutte contre le réchauffement climatique?

Le rôle le plus important de cette chaire est de former de nouveaux spécialistes sensibles aux problèmes d’éthique et de justice environnementale ou climatique. Nous essayons aussi de participer au débat public et de contribuer à une discussion plus rationnelle et plus informée. Et nous faisons avancer la recherche: mon assistante étudie par exemple s’il est justifiable de compenser nos émissions de CO2 à l’étranger. ■


De nouvelles actions en vue

Après une pause estivale, la mobilisation des jeunes pour le climat reprend avec deux importants événements. Une nouvelle grève étudiante et collégienne est prévue demain à Fribourg, comme dans plusieurs autres villes suisses. Pour la première fois, elle aura lieu toute la journée. Dès 10 h, les jeunes se réuniront sur la place Georges-Python à Fribourg pour exprimer leurs inquiétudes sur l’avenir de la planète.

A trois semaines des élections, la mobilisation s’annonce déterminante. Sera-t-elle forte? «C’est difficile à dire, mais je l’espère», affirme Cléa Voisard, membre du mouvement fribourgeois de la Grève pour le climat. Avec la rentrée, les réseaux ont dû être réactivés et certains relais dans les écoles ont été perdus au gré des promotions.

Eventuelles sanctions

Pour l’heure, la Direction de l’instruction publique a envoyé comme mot d’ordre de ne pas autoriser la grève, rapporte Cléa Voisard. C’est à chaque directeur et responsable d’établissement de déterminer s’il veut sanctionner les grévistes. Dans deux communiqués distincts, l’Union syndicale fribourgeoise et Solidarités ont appelé les écoles et les autorités politiques à faire preuve d’indulgence. La journée se terminera par un cortège en ville de Fribourg. Le lendemain, une grande manifestation nationale est prévue à Berne en début d’après-midi. Un train spécial s’arrêtera en gare de Fribourg pour emmener les manifestants. Un cortège à vélo partira de la place Georges-Python à 7 h 30 et roulera pendant toute la matinée en direction de la capitale. DM

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