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Fribourg

Les espaces réservés aux eaux agitent paysans et communes

Dans l’Intyamon, les champs qui se situent au bord de la Sarine ne pourront plus être exploités intensivement. ANTOINE VULLIOUD

Les cultures et les nouvelles constructions seront bientôt limitées au bord des rivières et des lacs.

Il faut s’attendre à des conséquences sur la production locale et le développement économique. Deux questions au Conseil d’Etat s’en inquiètent.

Agriculteurs, communes, canton et organisations de défense de la nature, chacun a son point de vue sur ce thème éminemment sensible.

DOMINIQUE MEYLAN

AGRICULTURE. Le long des lacs, des rivières et même des ruisseaux, un espace doit être réservé pour protéger les eaux et éviter les crues. Midécembre, le canton a publié les périmètres concernés. Des propriétaires privés, des entreprises et des agriculteurs sont concernés. Leurs inquiétudes sont relayées dans deux questions adressées au Conseil d’Etat, l’une émanant des représentants des paysans, l’autre des communes.

L’exemple de la vallée de l’Intyamon est évocateur des conséquences pour certains agriculteurs. Des parcelles se situent dans le périmètre réservé aux eaux. Dès 2028, les paysans devront passer à une agriculture extensive avec beaucoup moins de rendement. Interdiction de labour, d’utilisation de produits phytosanitaires ou de fumure, le changement est loin d’être anodin. «Ce sont les meilleures terres agricoles qui sont touchées», déplore le syndic de Bas-Intyamon, Olivier Pharisa.

Manque de fourrage

Il craint un manque de surfaces pour la production de fourrage. Ailleurs, d’autres types de cultures sont également touchés. «L’avenir de certaines exploitations pourrait être en jeu», estime le président de l’Union des paysans fribourgeois, Fritz Glauser (plr, Châtonnaye), qui a déposé une des questions. Les exploitations, dont une grande partie des terres se situe près d’un cours d’eau, devront revoir tout leur système.

Un deuxième problème se pose lorsque le corps de ferme se trouve dans le périmètre protégé. Les constructions existantes ne devront pas être détruites, mais elles ne pourront plus être modifiées. Qu’adviendra-t-il de certaines installations, comme les fosses à purin? De nombreuses questions restent en suspens.

Lit historique de la Sarine

Une distance de 4 mètres au minimum est prévue pour cet espace protégé. Mais elle peut être bien plus importante pour les grands cours d’eau. Dans l’Intyamon, où la Sarine prenait historiquement ses aises, la zone concernée mesure plusieurs dizaines de mètres par endroits.

Cette situation fâche Olivier Pharisa: «L’Etat impose ses vues sans avoir discuté avec les communes. Les limites sont basées sur une carte de 1850, alors que cela fait plus de cent ans que la Sarine a été endiguée et qu’il n’y a pas eu de débordement.»

Pour Fritz Glauser, il est essentiel de maintenir le dialogue avec les services de l’Etat. C’est d’ailleurs le motif principal de sa question. Pour évaluer l’impact de ces zones de protection, le député souhaite connaître l’étendue des surfaces agricoles utiles touchées et les conséquences sur la production de nourriture locale.

Il demande également si des mesures de compensation financière, de correction ou des dérogations sont possibles. «Le but, c’est de trouver des solutions dans le respect de la loi. Il y a peut-être quelques exceptions qui pourraient être exploitées», avance Fritz Glauser.

Une possibilité de compensation est d’ores et déjà mise en avant par le canton. Les paysans pourront obtenir des paiements directs en annon- çant les parcelles touchées comme surfaces de promotion de la biodiversité. «Mais cela ne remplace pas un revenu et cela ne permet pas de nourrir une famille», précise Fritz Glauser. ■


Mises devant le fait accompli

COMMUNES. Les agriculteurs ne sont pas les seuls à posséder des parcelles ou des bâtiments dans les espaces réservés aux eaux. Les propriétaires privés et les entreprises pourraient également voir certains de leurs projets contrariés. Depuis mi-décembre, les communes sont régulièrement interpellées. Président de l’ACF (Association des communes fribourgeoises) et député, David Fattebert (centre, Le Châtelard) est, avec Urs Hauswirth (ps, Guin), l’auteur d’une seconde question.

Au niveau économique, les conséquences sont loin d’être anodines. Des terrains, actuellement destinés à l’économie, ne seront plus constructibles. Gruyères, avec sa zone d’activité d’Epagny, figure en bonne place sur la longue liste des communes touchées (La Gruyère du 7 juin 2022). Certains projets comme Goya Onda pourraient être entravés. «Nous avons été quelque peu surpris de la manière de faire, raconte David Fattebert. Dans un courrier reçu le 13 décembre, les communes ont été informées que les espaces réservés aux eaux avaient enfin été délimités. Mais personne n’a été impliqué en amont.» Sans connaître la méthodologie, les communes doivent maintenant répondre aux questions des citoyens. Une situation que dénonce le syndic de Bas-Intyamon, Olivier Pharisa: «Il n’y a eu aucune concertation avec les habitants sur place. C’est digne d’un Etat totalitaire.»

Quelle marge de manœuvre?

Les données publiées n’ont pas force de loi avant d’être intégrées dans un PAL (Plan d’aménagement local). «Il reste très peu de marge de manœuvre, craint David Fattebert. Peut-être un peu au niveau technique, mais pas s’il n’y a pas de pesée d’intérêts au niveau politique. Les communes doivent exécuter des décisions sur lesquelles elles n’ont aucune prise.»

Cette marge de manœuvre fait partie des interrogations, tout comme la portée réelle des périmètres annoncés en décembre. Selon la jurisprudence, de nouveaux permis de construire ne peuvent plus être accordés sur ces zones, même si les espaces réservés aux eaux n’ont pas encore été inscrits au PAL. De quoi inquiéter les deux députés.

Ces derniers souhaitent finalement éclaircir la possibilité d’une éventuelle compensation. Pourra-t-on remplacer un terrain constructible perdu par une parcelle située ailleurs? «Avec le Plan directeur cantonal, on ne peut plus placer de zones à bâtir en dehors du territoire d’urbanisation prévu, ce qui pose de nombreux problèmes», s’inquiète David Fattebert. DM


Une opposition à Broc

Selon Nicole Camponovo, secrétaire régionale du WWF, les espaces réservés aux eaux sont fondamentaux. «Pour qu’un cours d’eau puisse remplir ses fonctions écologiques, il faut de l’espace, un débit suffisant et une eau de qualité.» D’autres cantons ont cherché à limiter au maximum ces périmètres, mais ce n’est pas le cas de Fribourg, se félicite-t-elle. En revanche, elle déplore le retard pris par le canton.

La manière dont seront définies les zones densément bâties constitue un des enjeux. «Les communes essaieront peut-être de jouer sur cette définition, qui est vague dans la loi», anticipe Nicole Camponovo. Le WWF a fait opposition à la planification de Broc, estimant qu’elle ne respectait pas les espaces réservés aux eaux. Selon la secrétaire régionale, la modification du PAL, mise à l’enquête, ignore délibérément ce périmètre, trop proche des projets du Parc Cailler et de la STEP. Elle voit, dans cette manière de faire, une tentative de jouer la montre. DM


Le lit naturel de la rivière comme base

CANTON. L’espace réservé aux eaux vise notamment à garantir la protection contre les crues et à prévenir les atteintes nuisibles aux eaux. Le Service de l’environnement a dû actualiser ces données à la suite de la modification des dispositions fédérales. «Nous avons délimité environ 2000 kilomètres de cours d’eau», rapporte Christophe Joerin, chef du Service de l’environnement.

Sur l’ensemble du territoire, ces espaces couvrent 4200 hectares. La distance de l’espace réservé, à laquelle s’ajoute une limite de 4 mètres au minimum jusqu’à la première construction, est fixée selon la largeur naturelle du cours d’eau. Elle peut donc fortement varier. «Pour délimiter cette largeur, nous devons identifier les tronçons naturels avant leur aménagement», explique Christophe Joerin.

L’ordonnance fédérale donne un cadre précis pour les petits et les moyens cours d’eau. Pour les plus grands, la Confédération a publié des aides à l’exécution qui laissent davantage de marge de manœuvre. «Il y a toujours une petite incertitude sur la délimitation de la largeur naturelle, malgré les études effectuées par les bureaux mandatés. Si on nous démontre scientifiquement qu’une autre délimitation est pertinente, il y aura dialogue», relate Christophe Joerin.

Domaine agricole

Les agriculteurs devront respecter les restrictions d’exploitation sur les parcelles concernées à partir de 2028. «Un groupe de travail avec les milieux agricoles et des personnes externes sera constitué pour déterminer la manière de mettre en œuvre ces restrictions», explique Christophe Joerin. Ce délai devrait permettre d’identifier les cas particuliers. La pertinence d’exiger une exploitation extensive à côté des cours d’eau endigués fait partie des thèmes qui devront être débattus. «Tous les cantons ont les mêmes soucis», constate Christophe Joerin.

Le Conseil d’Etat devrait apporter davantage de précisions dans sa réponse aux deux questions. DM

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